Marie Rivière et Guillaume Brac
Marie Rivière et Guillaume Brac © Léa Crespi

Presse

Logo : Télérama.fr Guillaume Brac et Marie Rivière se rappellent un maître nommé Eric Rohmer
(article paru le 09/07/2018)
Par Jérémie Couston

Elle a longtemps tourné pour celui qui fut l’un des pères de la Nouvelle Vague ; lui signe des films aux faux-airs rohmériens. La comédienne Marie Rivière et le réalisateur Guillaume Brac se sont retrouvés, à notre initiative, pour parler liberté des corps, introspection et… bases de loisirs.

Ils se sont rencontrés pour la première fois à Digne-les-Bains, en 2014, lors d’un festival de cinéma. Guillaume Brac était venu pour une carte blanche. Il avait choisi, entre autres pépites perso, Maine Océan, de Jacques Rozier, Two Lovers, de James Gray, La Vierge mise à nue par ses prétendants, de Hong Sang-soo, et Le Rayon vert, d’Eric Rohmer, avec Marie Rivière, qui avait fait le déplacement jusque dans les Alpes-de-Haute-Provence – « six heures de train, avec un changement à Lyon » – pour évoquer ses souvenirs de tournage et discuter avec un cinéaste dont elle avait vu et apprécié Un monde sans femmes. On a croisé Marie Rivière à la sortie d’une projection de presse de Contes de juillet (en salles le 25 juillet), un joli film à sketchs, rohmérien jusque dans son titre, l’un des deux signés Guillaume Brac à sortir cet été. L’autre, en salles depuis le 4 juillet, s’appelle L’Ile au trésor, et c’est un superbe documentaire sur l’adolescence, la transgression, le métissage et la douceur du temps qui passe. Les deux ont été tournés sur la base de loisirs de Cergy-Pontoise, à l’endroit même où Eric Rohmer avait réalisé L’Ami de mon amie, en 1987, sans Marie Rivière, mais ce n’est pas grave. Trop de hasards, trop de coïncidences... On a voulu les réunir à nouveau pour les écouter parler de Rohmer, de ce que l’une a appris de lui, de ce que l’autre lui a emprunté. Un dialogue estival et parisien au pied de la Butte-aux-Cailles, en une fin d’après-midi de juillet ensoleillée, devant trois citronnades..

Guillaume Brac : Je me souviens de cette projection à Dignes et de la discussion qui a suivi. Un moment assez beau et mélancolique. C’est le film qui t’avais émue ?

Marie Rivière : Mais non, on était allés manger une pizza pendant la projection... J’étais fatiguée à cause de mon voyage en train, c’était un long trajet, dis donc ! Tiens, au fait, pourquoi tu as appelé ton film Contes de juillet ?

Contes de juillet avec Lucie Grunstein et Miléna Csergo

Contes de juillet avec Miléna Csergo © Les Films du Losange

G.B. : Parce qu’il s’agissait de deux contes moraux, tournés au mois de juillet. C’est un clin d’œil assez modeste car Rohmer, c’est Conte d’été, et juillet, c’est le tiers d’un été. Je suis un peu parti d’une variation sur un conte moral rohmérien, de deux collègues qui deviennent amies. Mes références, c’était plutôt ses films à sketchs, Les Rendez-vous de Paris ou Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle. Des histoires simples sur un format court. Quant à L’Ile au trésor, je le vois comme le hors champ de L’Ami de mon amie, à trente ans d’écart. Dans son film, Rohmer montre très peu la base de loisirs finalement, on voit à peine quelques plans sur la banlieue populaire. On est quand même beaucoup avec les personnages, qui sont des employés, des cadres moyens. Sociologiquement, le film est très ancré dans une classe moyenne blanche. La banlieue ayant changé, je trouvais intéressant que mon film, sur le terrain documentaire, occupe le hors champ du film de Rohmer. Que je ne parte pas sur ses traces mais que je me réapproprie le lieu. J’allais d’ailleurs sur la base de loisirs quand j’étais petit. Je ne voulais pas faire un pèlerinage, mais filmer ce qu’il n’avait pas pu filmer.

“J’aime que les corps soient inscrits dans le lieu, le paysage, et que le regard attrape au passage d’autres choses”, Guillaume Brac

M.R. : Je connaissais bien ce coin, à l’époque où on l’appelait les étangs de Neuville, avant la construction de la base de loisirs. J’y allais avec la mère de mon petit ami. C’était sauvage, il y avait du sable. On allait s’y baigner. J’y suis retournée avant de voir ton film, au mois de juin, avec des migrants [Marie Rivière donne des cours de français dans une association d’aide aux migrants]. Ça a bien changé, il faut passer trois grilles. Mais c’est vrai qu’il y a des mecs qui zonent, tu laisses pas ton sac sur la plage quand tu vas te baigner. Je me demandais comment tu avais fait pour filmer les gens sur la base de loisirs dans ton documentaire. Ils sont d’un naturel. Comme si la caméra était très loin. Tu es en zoom ?

G.B. : Ah, non ! C’est encore quelque chose que j’ai retenu du cinéma de Rohmer : utiliser des focales proches de l’œil humain, surtout pas de longues focales. Je suis toujours assez proche de mes personnages, à quelques mètres. D’ailleurs, tu verras, dans mes films, il n’y a quasiment jamais de fonds flous, j’aime que les corps soient inscrits dans le lieu, le paysage, et que le regard attrape au passage d’autres choses. Je suis moins sensible aux mises en scène sur les visages. Mais toi, comédienne rohmérienne, tu connais ça, non ?

M.R. : J’aimerais d’abord que tu arrêtes de m’appeler « comédienne rohmérienne », comme si je récitais du Chrétien de Troyes tout la journée, même à la boulangerie. Je ne pense pas avoir été formée par Rohmer plus que par un autre cinéaste. Il ne nous imposait rien, c’était à nous de nous fondre dans son monde, dans ses mots, cela se faisait en douceur. Cela dit, tu as raison, il y a très peu de gros plans chez Rohmer. Il filmait les corps en mouvement, qui expriment autant les sentiments que les dialogues. On dit que c’est un cinéaste de la parole, mais Rohmer est pour moi un cinéaste du corps et de la gestuelle.


Contes de juillet avec Miléna Csergo © Les Films du Losange

UG.B. : Il y a plusieurs mises en scène chez Rohmer. La Femme de l’aviateur ou Le Rayon vert sont dans une veine très légère, mais il y a des films comme Ma nuit chez Maud ou Pauline à la plage où la mise en scène est plus découpée. Dans les films que tu as tournés avec lui, il y a très peu de champs/contre-champs, les acteurs sont souvent deux dans le plan. C’était mon parti pris dans Contes de juillet, car les acteurs n’avaient pas de dialogues, ils improvisaient. Ils avaient l’habitude de jouer ensemble au Conservatoire, donc je profitais de leur complicité. J’aimais les mettre à deux ou trois, parfois quatre ou cinq, dans le même plan, comme une chorégraphie. J’avais une trame d’histoire, des jalons, mais les acteurs étaient très libres au début. Ensuite on façonne, on peaufine la matière qu’ils ont mise en place. Sur Le Rayon vert aussi, les dialogues n’étaient pas écrits, n’est-ce pas ?

M.R. : Oui, c’est une exception. Eric écrivait toujours le scénario du film suivant sur le tournage du précédent. De cette façon, il était en mesure de donner les dialogues à ses comédiens très longtemps à l’avance. Ce qui nous donnait le temps d’apprendre par cœur, car ce n’était pas une mince affaire de s’approprier ses mots, sa musique. Mais pour Le Rayon vert, il n’avait pas écrit de dialogues. On a tout improvisé sur le tournage.

Marie Rivière dans Le Rayon vert d’Eric Rohmer (1986)
Marie Rivière dans Le Rayon vert d’Eric Rohmer (1986)
© Les Films du Losange)

G.B. : Je ne peux écrire des dialogues que pour des acteurs que j’ai en tête. Dans mes films précédents, j’ai toujours écrit les dialogues en sachant qui allait les prononcer. Le fait de n’avoir pas pu choisir les acteurs de Contes de juillet m’a contraint à m’adapter. On m’a confié des élèves du Conservatoire, j’ai donc laissé les acteurs écrire les dialogues à ma place, car je ne les connaissais pas assez pour savoir comment les faire parler. Voici une grande différence avec le cinéma de Rohmer : chez moi, les personnages ne s’analysent pas en permanence, ne tiennent pas de grands discours sur eux-mêmes.

M.R. : C’est génial que de pouvoir s’analyser. Il n’y a que le cinéma qui permet ça.


“Ce que j’ai retenu des films de Rohmer : ne pas donner l’impression d’être dans un film”, Guillaume Brac

UG.B. : Tu rigoles ? Dans la vie, tout le monde fait ça. Quand tu prends un café avec un ami, tu ne fais que parler de toi, non ? Les gens ont besoin de comprendre des choses d’eux. Par la parole, le dialogue. Ça dépend des milieux, des personnalités, bien sûr, mais avec une bouteille de vin, les gens parlent pendant des heures, il me semble...

M.R. : Mais je ne bois pas de vin... D’ailleurs, tu m’as demandé si j’étais saoule en arrivant, moi qui ne bois jamais un verre d’alcool. C’est ça qui est troublant, j’ai l’air saoule alors que je ne bois pas...

L'Île au trésor
L'Île au trésor © Les Films du Losange

G.B. : Ce matin, j’ai revu La Femme de l’aviateur [autre film de Rohmer avec Marie Rivière] et je t’ai trouvée très touchante. Cette façon d’ouvrir la fenêtre pour renouveler l’air de la nuit, de boire un verre d’eau avant d’ouvrir la porte à ton ami, c’est très concret. Le cinéma a tendance à bloquer la vie. Chez Rohmer, il y a sans cesse des gens qui passent, on prend le bus, le métro. J’étais frappé, aussi, de voir les publicités de l’époque. L’affiche de Loulou, de Pialat, à l’arrière d’un bus. Tous les personnages sont totalement ancrés dans le réel. C’est l’un des principaux enseignements que j’ai retenus des films de Rohmer : ne pas donner l’impression d’être dans un film.

M.R. : Tu fais pareil dans tes films. Tes personnages sont d’aujourd’hui.


“Rohmer savait aussi saisir avec beaucoup de justesse les milieux sociaux”, Marie Rivière


G.B. : Oui, j’aime bien l’impureté, visuellement. Je ne cherche pas à filmer juste un coin de verdure. J’aime les éléments de mobilier dans le plan, qui apportent de la couleur, des signes du temps. Je suis sensible aux marqueurs temporels attrapés par les plans qui permettent, des années plus tard, d’être replongé dans l’époque du tournage. Dans L’Ile au trésor, j’ai cherché à saisir le présent, mais aussi quelque chose de plus intemporel lié au monde de l’enfance, qui échappe à la base de loisirs de Cergy. J’ai pris beaucoup de choses de Rohmer, sur l’organisation des tournages, la place des acteurs dans le réel, mais la différence fondamentale, c’est notre rapport à la parole. Mes personnages ont un rapport plus empêché, la parole sort plus difficilement. Ils ont du mal à formuler leurs émotions, leurs sentiments, là où chez Rohmer, naturellement, et de façon stylisée aussi, les personnages vivent à travers ce qu’ils disent.

Marie Rivière et Guillaume Brac
Marie Rivière et Guillaume Brac © Léa Crespi

Jérémie Couston

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